mardi 23 septembre 2014

Deux tontons morts pour la France


C’est pour officialiser mes deux premiers poilus indexés sur Mémoire des Hommes (fin août) que j’ai décidé d’écrire un article sur les deux oncles maternels de ma grand-mère maternelle morts pour la France.

Eugène Emile et André Joseph COCHERY sont les fils d’Emile Amédée COCHERY (1859-1908) et d’Eugénie Alzire CHRETIEN (1868-1961) tous deux meuniers-cultivateurs à la ferme-moulin d’Ezeaux situé à Chalo-Saint-Mars dans le sud de l’Essonne.
Eugène est l’aîné des sept enfants (3 filles et 4 garçons) d’Emile et d’Eugénie, André est le  quatrième. Sur les sept enfants, deux décèdent dans leur première année.


Les enfants COCHERY-CHRETIEN

J’ai essayé de retracer le parcours de ses deux frères morts à la guerre avec ce que j’avais à disposition à savoir: les actes de naissance, les registres matricules (en ligne sur les AD78 pour l’ancienne Seine-et-Oise), les recensements de Chalo-Saint-Mars et leur « fiche de Mort pour la France » en ligne sur Mémoire des Hommes, ainsi que les carnets de campagne des régiments dans lesquels ils ont servi.

L’aîné, Eugène Emile est né le 20 mai 1890 à Chalo. Dans le recensement de 1906 il vit chez ses parents avec ses frères et sœurs et est berger chez son père, en 1911 il est ouvrier agricole dans la ferme familiale d’Ezeaux louée au Marquis d’Oysonville tenue par sa mère, veuve depuis 1908.  On peut penser qu’il est désormais le pilier de la famille, le nouvel homme de la maison avec son grand-oncle, Henri GILLOTIN (né en 1850), oncle maternel d'Eugènie, qui est arrivé certainement après la mort d'Emile à la ferme. 

Sa fiche matricule, il appartient à la classe 1910, donne son signalement qui permet de sa faire une idée de son physique. Un grand homme (1m85 !) grand pour l’époque, châtain aux yeux marrons clair au visage large, nez moyen, au teint coloré, petite bouche, oreilles ourlées, yeux enfoncés, sourcils drus, lèvres minces, front large et une petite cicatrice à la paupière supérieure droite. Le signalement est intéressant quand on ne possède de photo d’époque, j’ai la chance d’en posséder une ce qui permet de comparer la photo avec la description qui est faite de lui.


AD78 - Fiches Matricules classe 1910
1R/RM439 - p.296

Il commence son service militaire le 12 octobre 1911 dans le 2e régiment du Génie et part en campagne en Algérie du 13 octobre 1911 au 9 août 1912. Il est dit sapeur-conducteur, après quelques recherches sur internet, cette dénomination signifie qu’il est « simple soldat » ayant une fonction (mineur, pompier…). La photo ci-dessous sauvée des folies pyromanes de mon arrière-grand-mère par ma grand-mère peut confirmer. Cet uniforme correspondrait à celui d'un sapeur conducteur du 1er Régiment du Génie, le chiffre 1 sur le col y faisant référence.


 Eugène Emile COCHERY (1890-1918) en costume du 1er régiment du Génie
Collection familiale 

Revenu d’Algérie, il est réserviste de l’armée active à partir de novembre 1913, on peut penser qu’il revient à Chalo aider sa mère à la ferme. Les réservistes sont les hommes des classes 1900 à 1910, ceux de 1911 à 1913 sont les actifs, c’est à dire les hommes qui effectuent encore leur service militaire, qui durait 3 ans.
Il est affecté lors de la mobilisation le 1er août 1914 au 1er régiment du Génie et le rejoint le 3 août. Le 3 et 4 août correspondent aux deuxième et troisième jours de la mobilisation lors desquelles les réservistes les plus jeunes, ceux des classes 1908, 1909, 1910)  (source wikipédia « Mobilisation française 1914 ») sont appelés à rejoindre les dépôts de mobilisation. Eugène en faisant certainement partie étant de la classe 1910.
Le 1er avril 1918 il sert le 21e régiment du Génie créé en avril 1917, la création temporaire du 21e régiment du génie eut pour but de répartir les unités du 1er régiment en deux groupes ; mais, par la suite, il y eut des modifications, certaines compagnies ont compté aux deux régiments : il en résulte qu'il est difficile de séparer les deux subdivisions du 1er et du 21e régiments du génie. (source MDH)
Il est évacué du front le 3 octobre 1918 « pour maladie contractée en service » à l’hôpital complémentaire 37 de Vesoul et y décède le 10. Je n'ai pas réussi à trouver le journal de son régiment et à la date du 3 octobre 1918 pour essayer de savoir de quel endroit a-t-il été évacué.

Il existe une autre le photo-lettre-carte postale d'Eugène que l’on est conservé dans la famille d’Eugène. Ses quelques mots sont rassurant pour sa mère et ses sœurs qui sont restés à la ferme d’Ezeaux.



« Le 27 décembre 1915
Chère mère et sœur,
Je suis toujours en bonne santé et j’espère
Que vous êtes de mêmme. En attendant
de vos bonne nouvelles je termine en vous
embrassant de tous cœur. Votre fils et frère
Cochery Eugène. »

Fiche des 
Fiche "Morts pour la France"

Mémoire des Hommes

Quant à André, il est né le 16 juin 1894 dans la ferme d’Ezeaux à Chalo-Saint-Mars, il fait parti de la classe 1914, ça fiche matricule nous indique qu’il est arrivé sur le front le 3 septembre 1914, Sans expérience contrairement à son frère qui avait fait son service militaire à partir de 1911, il arrive un mois après la mobilisation, il fait parti des 1099000 d’hommes incorporés pendant la seconde période de la mobilisation entre le 16 août et le 30 septembre 1914 (2887000 lors de la première période). Son matricule ne nous dit pas si André Joseph s’est engagé volontairement (ce qui était possible à partir de 17 ans) ou si il fait parti des mobilisés étant de la classe 1914, le front servant de service militaire.
Une autre interrogation (n’étant pas expert de la Première Guerre mondiale), ne serait-il pas aller entre la mobilisation et début septembre dans une caserne où l’on entrainait les nouveaux soldats qui n’avaient pas encore effectué leur service militaire ?
Côté physique, il n'a pas la carrure de son frère aîné, voici sa description:


AD78 - Fiches Matricules classe 1914
1R/RM503 - p.609



A l’inverse de son frère, André meurt au front, cette information est donné par sa fiche des "Morts pour la France" sur Mémoire des Hommes 


Fiche "Morts pour la France"
Mémoire des Hommes
et grâce au journal de son régiment, le 146e d’Infanterie, on peut émettre l’hypothèse qu’il est mort lors d’une fusillade du 3 novembre 1915. André fait parti des 11 soldats morts ce jour là devant Beauséjour.


Extrait du journal du 146e d’Infanterie
Sur le site Mémoire des Hommes

Sur la photo ci-dessous, André est assis au premier rang, le deuxième en partant de la gauche. Rien n’indique la date, il n’y a rien au dos, mais on peut penser qu’avec le lieu d’indiquer « Carcassonne », la photo daterait avant son départ au front. Est-il allé à Carcassonne avant d’arriver dans les tranchées ? That is the question !


Collection familiale 

A la fin de la guerre, la famille des ces deux jeunes hommes a du être bouleversé, sur sept enfants, trois sont désormais encore en vie. Eugénie n’en avait plus que trois, un garçon Gaston et deux filles Marguerite et Émilie. Comment désormais tenir la ferme seule ?  Quelques années après la guerre Eugénie cède le bail de la ferme d’Ezeaux et loue une autre maison dans Chalo-Saint-Mars.
Je possède dans les papiers familiaux la « Carte d’identité » pour les pensions d’Eugènie qui lui est concédée pour «  allocations aux ascendants de militaire », un moyen pour survivre après la guerre.
Cette photo qui doit datée du début des années 1920 (la carte date de 1924) m’a toujours surprise. Sur cette photo Eugénie a autour de 55 ans mais elle est paraît ou en paraîtrait à notre époque, 30 de plus (certainement le poids des années, son veuvage et la perte de ses fils).


 Collection familiale 

Enfin une dernière photo sur laquelle Eugénie apparaît, je n’ai rien pour le prouver mais d’après moi, cette photo de femmes toutes décorées (de quoi ? That is the question number two !) entourant Monsieur le Curé serait d’après guerre. Eugénie, ici au premier plan, la deuxième ne partant de la droite, a les mêmes traits que sur sa photo d’identité. 


 Collection familiale 




L'indexation qu'est-ce que c'est ? Il s'agit d'indexé les fiches des Poilus morts pour la France afin de créer une base générale, interrogeable via plusieurs critères (origines géographique, régiment, lieu de décès...). J'ai contribué et je contribue quand le temps me le permet à l'indexation des Morts pour la France sur Mémoire des Hommes, j'ai  indexé une cinquantaine de fiches  (comme celle d'Emile et d'André) depuis le début de l'été. Par manque de temps, je m'occupe de faire celles de petites villages Beaucerons (entre 1 et 10 MPLF) ce qui est assez rapide, quand j'aurai du temps je m'attaquerai aux gros villages et aux villes.